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Le gîte a été créé dans la partie ou était le magasin de la laiterie jusqu'en 2005. Le fromage était réalisé et affiné dans la partie sous sol du batiment.

 

Ci-dessous un article sur l'histoire de la laiterie réalisé par Jean-Louis Philippart :

 

 

La Coopérative Laitière d’Albepierre

Née le 1er mai 1920 de la volonté et de l’entente de paysans d’Albepierre ne produisant, pour certains, que quelques litres de lait par jour, la « Société de Laiterie Coopérative d’Albepierre », la plus ancienne structure collective de transformation du lait du département du Cantal a vendu en 2006 le bâtiment de sa laiterie ; Il sera transformé en locaux d’habitation. Depuis plusieurs mois toute activité avait cessé et les sept producteurs de la commune livraient leur lait aux laiteries de Celles et Valuéjols. Avec cette vente, tient cependant à rappeler le Président en exercice, la coopérative d’Albepierre continue d’exister en droit.

         Certes elle existe sur le papier, mais une page est tournée.  Hier 16 octobre, par les portes de l’atelier  restées largement ouvertes, j’ai vu des locaux vides,  tout le matériel était enlevé, notamment la grande cuve, pour laisser place nette aux nouveaux acquéreurs. Un vrai pincement au cœur même si il faut parfois se plier aux dures réalités économiques. Après avoir apporté l’aisance à toute une population composée très largement de petits et moyens paysans, de domestiques ou ouvriers agricoles ne possédant pas assez de vaches pour valoriser eux-mêmes leur lait, la laiterie qui n'avait connu aucune faillite, fierté et mémoire de toute une commune, méritait un regard rétrospectif[1].

 

L’esprit  d’entreprise coopérative.

         La laiterie d’Albepierre était d’abord une coopérative. L’idée que les faibles, d’un point de vue économique, prennent ensemble en main leur propre sort et se réunissent  pour faire face aux besoins économiques impossibles à satisfaire seuls et se défendent contre le pouvoir des négociants,  est très ancienne. On dit que Jules César aurait évoqué la création de coopératives laitières dans « La guerre des Gaules »[2].

        Des manifestations spontanées de coopération et d’entraide ont existé autrefois mais  le mouvement coopératif  s’organise véritablement au  milieu du XIXe siècle, particulièrement en 1844 à Rochdale, petite ville de la banlieue de  Manchester, où vingt huit tisserands créent la « Société des Equitables Pionniers de Rochdale » pour mettre fin à des pratiques de prix usuraires. Ils édictent notamment deux principes fondamentaux de la coopération qui serviront de socle à toutes les coopératives mondiales :

- L’égalité et le contrôle démocratique par un homme, une voix. Ainsi, quel que soit le nombre de parts sociales de l’adhérent, sa voix est aussi importante que celle d’un autre adhérent

- La justice par la répartition des excédents financiers entre les membres au prorata du volume d’activité de chacun et non pas du nombre de leurs parts sociales.

        Dans les années 1880 et surtout après la loi de 1901 autorisant la liberté d’association, sont apparues en France les premières activités coopératives agricoles. Elles étaient prônées aussi bien par les mouvements d’obédience socialiste que les courants religieux sociaux chrétiens. Convaincu de l’intérêt de ces sociétés, Stanislas de CASTELLANE, député du Cantal pour la circonscription de Murat écrivit en mai 1902 :

« L’industrie laitière ne fonctionne pas seulement sous la forme de sociétés privées. Cette industrie est susceptible de s’adapter à des combinaisons multiples, mettant en jeu l’initiative, l’énergie, l’intelligence et les ressources des cultivateurs associés. Il existe en France, certaines régions où cette industrie se développe  sous la forme de sociétés fromagères. Ces sociétés sont très intéressantes au point de vue de la prospérité qu’elles apportent au pays, en ce qui concerne le principe même de solidarité sociale sur lequel elles sont basées. Le principe de l’association, la solidarité entre tous les membres d’une même société, voilà donc une idée nouvelle qui nous permettra sans doute de résoudre de façon différente le problème qui sollicite notre attention[3]. »

En France, on comptait 22000 coopératives agricoles en 1980. Certaines sont aujourd’hui « d’intégration ascendante », par exemple les coopératives d’utilisation du matériel agricole, d’achat de fournitures agricoles, de crédit aux agriculteurs, ou encore d’assurances mutuelles contre l’incendie, la mortalité du bétail, les accidents ou autres risques agricoles. Les coopératives les plus nombreuses sont « d’intégration descendante », elles collectent, transforment et commercialisent les produits agricoles : lait, viande, céréales, vin, fruits légumes, sucre…  Pour toutes ces coopératives, l’état d’esprit est de compenser la position de faiblesse des petites exploitations vis à vis des commerçants, fournisseurs et  prêteurs, et vaincre l’isolement et parfois l’ignorance des membres par la diffusion de l’information et l’éducation.

 

Statuts  de la Coopérative Laitière d’Albepierre.

C’est le 12 mai 1920 que Bertrand RIGAL dit Brajacou, Antoine RIGAL dit Antonin et Antoine BENESSY, tous propriétaires exploitants demeurant à Albepierre, déposèrent chez le notaire Me MARGERIT, les premiers statuts de la laiterie coopérative d’Albepierre.  Les trois paysans avaient été élus respectivement Président, Trésorier et Secrétaire de la société quelques jours auparavant, par quarante quatre premiers souscripteurs de parts sociales[4].

La laiterie, agréée sous le numéro 15-48,  était constituée sous le régime des sociétés civiles particulières de personnes à capital et personnel variables car les sociétés coopératives agricoles formaient une catégorie spéciale, distincte des sociétés civiles et des sociétés commerciales. L’objet de la société était  " la fabrication en commun des fromages, des beurres et produits quelconques du lait, pour en obtenir des prix plus élevés", et la vente des produits  était autorisée dans la localité.  Le capital social était formé au moyen de parts souscrites par chacun des sociétaires. Il était fixé à la somme de 15.000 francs (soit 12.500  euros d'aujourd’hui[5]) et divisé en 150 parts de 100 francs chacune. Une partie du capital fut constituée dès le 28 mars 1920, quelques jours avant la constitution de la société, avec l'apport de neuf mille six cent cinquante francs versé par les premiers souscripteurs.

           Les statuts de 1920 furent plusieurs fois modifiés ou complétés pour respecter les textes législatifs ou réglementaires, notamment le 29 juillet 1938, le 28 novembre 1948 pour tenir compte des ordonnances de 1945, le 28 avril 1957 et le 12 décembre 1974. L’objet de la coopérative d’Albepierre n’a jamais varié ni les principes fondateurs de la coopération, mais certaines dispositions importantes furent supprimées, rendues plus souples ou plus sévères :    

- Tout sociétaire devait être agriculteur dans la commune et devait à l’origine livrer toute sa production. Mais les grosses fermes qui possédaient des estives et burons où ils fabriquaient le fromage, faisaient exception à la règle entre juin et septembre. Pour assouplir la règle, les statuts suivants exigèrent l’engagement de chaque adhérent à donner une certaine quantité de lait. En 1974, l’engagement passa de dix à cinq ans.

- Dans son article 11, les statuts de 1920 autorisaient les sociétaires à se retirer de la société par simple demande  écrite adressée un mois avant la fin de l’exercice annuel. Avec les statuts de 1938 le retrait d’un coopérateur, n’était plus aussi facile. Il  ne restait possible qu’en cas de force majeure ou après avis favorable du conseil d’administration[6].

- Aucun dividende n’était attribué au capital social par principe, cependant  il était versé un intérêt de 5% sur les parts sociales si les résultats le permettaient. Au début de la société, un petit nombre d’exploitants qui ne portaient pas leur lait à la coopérative souscrivirent des actions pour faire un placement, mais quand le retrait de la coopérative devint très difficile, cette pratique, à la vérité peu répandue, disparut et les souscripteurs étaient seulement des producteurs qui portaient leur lait. Jusque en  1953 les parts sociales rapportaient 5% par an,  mais peu de temps après, semble-t-il, le conseil d’administration ne versa plus d’intérêt bien que les statuts le permissent

- Le statut de 1920, imposait à chaque sociétaire de souscrire au moins une part sociale pour être coopérateur à part entière et il n’y avait aucune  obligation d’achat en fonction du nombre de vaches possédées. Par contre, à partir de 1938 chaque adhérent devait souscrire deux parts par vache laitière et en 1948  les souscripteurs devaient posséder une part au moins par vache laitière.

 A son début la coopérative  s’appelait « Société de laiterie Coopérative d’Albepierre » car non seulement  la laiterie se situait à Albepierre mais les premiers souscripteurs étaient tous domiciliés au bourg. En  décembre 1974, vingt et un ans après l’intégration de producteurs d’Auzolles-Haut , Auzolles-Bas, Pignou et Bredons, la coopérative prit le nom de « Société Coopérative Agricole Laitière d’Albepierre-Bredons[7] ». Jean BENEZIT était alors le Président.

 

Les locaux de la laiterie

L’acquisition d’une maison pour servir de laiterie eut lieu le  27 juin 1920, quelques jours après le dépôt des statuts chez le notaire MARGERIT à Murat. La maison sise au milieu du bourg d’Albepierre appartenait  au Maire, le docteur Gorges RABBE, et à son épouse  Jeanne ESTIEU. Elle fut vendue  à la Société de Laiterie Coopérative représentée par son nouveau Président : Gabriel RIGAL, pour un montant de 10.000 francs (environ 8400 euros d’aujourd’hui) et fut payée pour moitié à la signature de l’acte de vente ; le reste fut échelonné comme le montre une quittance de 1000 francs réglée par la coopérative le 20 mars 1923[8].

L’atelier occupait le rez-de-chaussée et le dessus était réservé au logement du laitier. Avec le développement de la coopérative il fallut faire des travaux pour stocker le fromage, installer de nouvelles presses et faire des garages. Sur le terrain à l’ouest de la maison aux volets verts du docteur RABBE fut creusée une cave en 1939[9] ainsi qu’une salle pour les presses en 1955. La même année, une cuve de 1000 litres en ciment armé pour le petit lait fut construite à l’extérieur et le président M. MARQUET fit assainir les murs et refaire les crépis extérieurs et intérieurs du bâtiment. En 1958, sous la présidence de Pierre RIGAL, une extension pour faire des garages fut construite au dessus de la salle des presses et de la cave.

 

A l’origine, les moyens et les  méthodes de fabrication du fromage ainsi que l’hygiène devaient être probablement très peu différents des usages dans les burons des montagnes. Il faut se rappeler en effet que l’électricité n’est venue dans le bourg qu’en octobre 1931. Le bois nécessaire au chauffage du lait  de la cuve, avant d’être substitué au charbon, était apporté alternativement par ceux des adhérents qui le souhaitaient et leur était payé.   L’eau  pour la laiterie était aussi une affaire importante car on en avait besoin abondamment  pour laver le matériel. Initialement elle était puisée à la fontaine mais en 1926, le conseil municipal considérant la coopérative comme « une œuvre d’intérêt général », délivra une concession d’eau à la coopérative moyennant une redevance annuelle de un franc. Cette concession municipale qui était la première du genre, permit l’arrivée d’eau directement sur le lieu de transformation du lait. Trois ans après cet immense progrès, le conseil décida que la concession serait gratuite et perpétuelle, en échange de 30 m2 de terrain appartenant à la laiterie, en bordure du pignon ouest de l’école de garçons.

          Dès l’origine de la coopérative, les eaux résiduaires,  et beaucoup plus tard le petit lait qui n’était plus repris par les producteurs mais qu’il fallait éliminer,  ont souvent posé un problème aux présidents de la laiterie. Ce fut le cas notamment en 1949 sous la présidence de Marcel JACOMIS. La coopérative qui avait été autorisée par la commune en 1922 à déverser ses eaux usées dans un égout communal situé à l’angle de la mairie fut assignée au tribunal d’Instance de Murat le 6 décembre 1949 par Mr. Bertrand DAUCOU. Celui-ci faisait grief à la coopérative de verser, sans droits, ses eaux résiduaires dans les prés appelés le Breuil  et Cazeaux  lui appartenant et estimait subir un préjudice. La laiterie versait en fait ses eaux dans un égout communal qui collectait les eaux de la fontaine du Tirondou sur lesquels le sieur DAUCOU disait avoir des droits.

           Le litige avait aussi une autre origine : Bertrand DAUCOU était membre de la société coopérative à laquelle il livrait son lait. Au cours de l’année 1949 il fut condamné pour fraude sur le lait. Comme toutes les coopératives, la société d’Albepierre demanda l’application du règlement intérieur. DAUCOU du s’y conformer ; il essaya vainement de se soustraire aux condamnations et du verser le 5 décembre 1949 à titre de pénalité,  la somme de 38 000 francs (environ 1000 euros valeur 2005). Il en conçut un ressentiment quelque peu « amer » aussi dès le 6 décembre 1949 la coopérative recevait la visite de l’huissier.

            Le tribunal d’Instance de Murat décida le 24 juillet 1951 de nommer un expert avec mission de se rendre sur les lieux. Mais en 1953, sans attendre le dépôt de son rapport, Bertrand DAUCOU et la Laiterie d’Albepierre conclurent  une transaction :

1-     Mr. DAUCOU renonce à donner suite à l’instance.

2-     La laiterie est autorisée à faire comme par le passé le déversement de ses eaux résiduaires jusqu’à la dissolution de la coopérative.

3-     La coopérative versera forfaitairement à Mr. DAUCOU une somme de 40 000 francs pour l’indemniser des dommages passés et ultérieurs éventuels.

           L’histoire en resta là, mais le problème de fond subsistait et on était loin encore de penser que la protection de l’environnement ferait se poser trente ans plus tard la question épineuse du traitement des eaux usées. 

 

La collecte du lait

Le premier règlement intérieur de la coopérative  adopté les 26 juillet et 10 septembre 1922, stipulait que le lait devait être livré à la laiterie par les propres soins du  sociétaire et à une heure précise ou bien par un ramasseur public. 

A partir des  années 1930, certains exploitants éloignés d’Albepierre : BESSON, DELPIROUX, TOUZET, BAC, GANDILHON d’Auzolles-Bas, PONS Elie d’Auzolles-Haut, livraient  par eux-mêmes leur lait à la coopérative. BASTIDE et GIRE de la Molède  faisaient de même ainsi que FOURNAL Camille de façon épisodique.

En mai 1953, quatorze producteurs des villages d’Auzolles, Pignou et Bredons, dont quelques uns qui apportaient déjà leur lait à la coopérative, sollicitèrent leur adhésion comme coopérateurs. Ils furent tous admis à la condition que :

« […] Les adhérents des villages précités prennent en charge en commun, l’organisation et les frais de ramassage du lait provenant de leur exploitation ; Ils se conformeront aux heures d’arrivée à la laiterie. Le ramassage aura lieu deux fois par jour durant la belle saison et ceci pour une durée de sept mois du 1er avril au 1er novembre. Durant les autres cinq mois le ramassage aura lieu le matin seulement avec facilité de le faire le soir lorsque la route sera encombrée par la neige.

[…] Les adhérents prendront une part de 100 francs au taux de 5%. Ils verseront en outre pour droit d’entrée la somme de mille francs par vache laitière. La somme ainsi produite sera destinée à couvrir, pour une menue partie d’ailleurs, les frais occasionnés par l’achat de nouveau matériel, celui-ci s’avérant insuffisant pour la quantité de lait à traiter. »

Les signataires, qui s’engageaient tous solidairement se nommaient : BESSON, PONS Elie, DELPIROUX, MATHIEU, POUGNET, BENESY, HIVERNAT, POUNHET, NAIRABEZE Augustin, ANDRIEUX, CHARRAIRE Robert, POUGNET, TOUZET, PESCAUD

           Jusque en 1970, Alfred HUGON transporteur à Pignou, effectua le ramassage et le transport du lait jusqu’à la laiterie. Après 1970, pendant la présidence de Pierre MATHIEU, le transport du lait fut intégré dans les charges de la coopérative. Le nouveau laitier, Jean DELPEUCH, transportait le lait avec un camion plateau à ridelles dans des bidons en aluminium fournis par chaque producteur. Arrivé à la laiterie il vidait lui-même les bidons dans la cuve et remplissait ensuite les bidons avec du petit lait dans la proportion de 80% du lait livré. Pendant de nombreuses années, les coopérateurs étaient très intéressés par le petit lait  qui constituait l’essentiel de l’alimentation des porcs que chaque paysan élevait. Lorsque le laitier faisait la tournée, il prenait les bidons de lait du jour et rendait les bidons de la veille remplis de petit lait. Plus tard il fallut par contre contraindre les coopérateurs à enlever le petit lait dont ils ne voulaient plus. Pendant un certain temps, l’installation d’une porcherie à Auzolles fut l’occasion de résoudre provisoirement le problème car  à la disparition de la porcherie, la question du petit lait se posa à nouveau.

           La collecte auprès des producteurs d’Albepierre et la Molède intervint seulement dans l’année 1984. Jusqu’à cette date les paysans portaient eux-mêmes leur lait à la laiterie dans des seaux étamés puis dans des bidons d’aluminium.  A partir de 1984, le lait qu’ils conservaient  dans des tanks réfrigérés dont ils s’étaient équipés, était pompé  par le camion citerne acquis en 1982 par la laiterie. Les tanks permettaient de conserver au lait toutes ses qualités, d’autant que, depuis 1970, le laitier n’effectuait plus qu’une seule caillée par jour au lieu de deux.

 

L’apport de lait en provenance des exploitations de la commune dura jusqu’au 15 décembre 1997. Pour des raisons évoquées plus loin, les producteurs se divisèrent : ils firent porter leur lait aux laiteries de Celles pour les uns et de Valuéjols pour les autres. Après une longue période de travaux de mise aux normes de la laiterie d’Albepierre pris en charge par la laiterie de Celles (1998-1999) et la mise en place d’une cuve de 5000 litres en remplacement de l’ancienne de 3000 litres, du lait collecté par la laiterie de Celles, pasteurisé dans son atelier, fut acheminé à Albepierre pour faire du Cantal pasteurisé que la laiterie de Celles ne produisait pas (elle fabriquait un fromage type fourme d’Ambert). Malgré le million de francs investi pour cette opération qui comprenait aussi la création d’un magasin de vente de fromage, la laiterie d’Albepierre a cessé toute activité depuis janvier 2002  et depuis 2004 il n’y a plus de magasin de vente de fromage. Celui-ci occupait une personne environ 2 heures par jour.

 

Les adhérents de la laiterie

Le nombre de souscripteurs de parts sociales à la création de la coopérative était de 44 exploitants mais dès la  première année, 54 producteurs vinrent porter leur lait à la coopérative. Tous les adhérents ne portaient pas du lait, notamment certains propriétaires de grosses fermes : Jean DAUCOU, Jean MARTRES, Bertrand Ernest RIGAL, Antoine BENESSY par exemple. Entre 1921 et 1942, un nombre presque constant de paysans livrait le lait à la coopérative, pourtant  la population communale, qui vivait principalement de l’agriculture, était de 550 habitants en 1942,  soit environ 20%  de moins que la population de 1921 (665 hab.).

            La guerre 1939-1945 va tout changer. D’abord le nombre de porteurs de lait diminue sensiblement comme le montre les comptages portés sur la figure1. Mais le prix du lait « flambe » et le pouvoir d’achat d’un litre de lait augmente comme nous le verrons plus loin. En 1953, c’est le moment choisi par quinze producteurs de Pignou, Auzolles et Bredons d’intégrer la coopérative. Mais à nouveau, la situation change. L’évolution à la baisse du nombre de sociétaires telle qu’on peut la suivre sur la courbe ci-dessous, traduit parfaitement le phénomène bien connu de l’exode rural. Des petits paysans d’Albepierre, de plus en plus nombreux, arrivés à  l’âge de la retraite, cessent  leur production de lait et leurs enfants délaissent la petite propriété familiale sans perspectives  pour occuper en ville un emploi beaucoup plus rémunérateur et souvent moins rude offert par une société qui est en plein développement économique.

Figure1figure1

En l996 il ne restait que sept adhérents, chiffre le plus faible de toute l’histoire de la laiterie. Il faut dire que la mutation de certaines exploitations vers l’élevage avait porté un préjudice au bon fonctionnement de la coopérative par la diminution de son activité.

 

Quantité de lait de vache transformé par la coopérative.

L’évolution de la quantité  de lait transformé par la  coopérative d’Albepierre ne suit pas celle du nombre de sociétaires. Les valeurs portées sur la figure2 suggèrent quatre périodes:.

Figure2figure 2

- Entre 1920 et 1939 » la production augmente très nettement passant de 116.753 litres  pour l’année 1922 à  404131 litres pour l’exercice du 1er mars1939 à février 1940. Le volume de lait produit au début est encore très modeste.  Ainsi, pour l’exercice  1924/1925 par exemple, la laiterie traite 205.918 litres collectés chez 56 coopérateurs, soit une moyenne d’un peu plus de 10 litres par coopérateur et par jour, c’est à dire un seau à chaque traite !

            - Entre 1942 et 1956, après une chute de  productivité due à la guerre, le volume de lait collecté  augmente considérablement du fait des quinze nouveaux adhérents. Le million de litres de lait est atteint  dans l’exercice 1956/1957

            - Entre 1956 et 1986, on constate une stagnation de la collecte autour de  un million de litres de lait. Certes le nombre d’adhérents et de vaches laitières ont fortement diminué pendant cette période, mais la productivité se maintient car les vaches Salers ont été remplacées par des Montbéliardes réputées plus productives.

- Après 1987, on observe une diminution importante de la quantité de lait livrée à la coopérative. Celle-ci atteint en 1993 le niveau de 1953 avec 648.138 litres. Que s’est il passé ? L’explication est assez simple. En 1984, pour maîtriser le marché des produits laitiers dans la Communauté Européenne, caractérisé par des excédents structurels résultant d’un déséquilibre entre l’offre et la demande, le conseil des ministres de la communauté décida de mettre en place un système de quotas pour inciter certains producteurs, notamment les plus âgés, à cesser la production laitière. Des références laitières supplémentaires furent accordées aux producteurs ayant investi, mais  certains agriculteurs de la commune préférèrent abandonner complètement la commercialisation du lait pour faire de l’élevage et remplacèrent leurs vaches laitières par des vaches allaitantes.

 

Le prix du lait payé par la coopérative aux producteurs

Le prix du litre de lait a toujours été calculé sur la base du prix de vente du fromage Cantalfabriqué par la coopérative et  la vente de la crème du lait pour faire du beurre. Depuis la loi du 3 janvier 1969, le paiement du lait  est aussi fonction de sa composition et de sa qualité. Pour le département du Cantal, ces mesures sont en application depuis le 1er janvier 1974. Un prix de base au litre est fixé pour un taux moyen en matière grasse et matière protéique et, pour chaque adhérent, des majorations ou minorations sont appliquées selon les résultats d’analyses opérées deux fois par mois sur des échantillons de  leur production.. Jusqu’au début de la guerre 1939-1945, le prix du lait au litre évolua lentement, passant de 0,5fr. à 1 fr. Par contre, pendant la guerre et surtout pendant les cinq années suivantes, le prix du lait fit un bond considérable, figure 3. A partir de 1970 et jusque en 1984, figure 4, une nouvelle augmentation fut observée, mais il faut se souvenir qu’en 1959  les prix avaient été divisés par 100 lorsque le « nouveau franc » fut mis en circulation. Pour cette raison on doit considérer que le prix du lait entre 1950 et 1970  est resté presque constant.

Figure3figure3

Figure4figure 4

            La forte croissance du prix du lait  après la guerre et après 1970 ne rend pas compte de l’évolution réelle du pouvoir d’achat d’un litre de lait. Pour l’apprécier depuis 1921, nous avons appliqué au prix annuel moyen pondéré du litre de lait payé par la laiterie, les coefficients déterminés par l’INSEE[10]. Les résultats portés en euros (valeur 2005) sur la figure 5 sont édifiants. Pendant la Guerre et jusque en 1950, pendant que la production restait faible et n’avait pas encore retrouvé son niveau d’avant guerre, le pouvoir d’achat a augmenté. Depuis 1950 le pouvoir d’achat d’un litre de lait n’a pas cessé de baisser.  En 1970 le prix du lait payé aux coopérateurs était de 0,56 F. en moyenne, ce qui correspondait à 0,524 euro de pouvoir d’achat (valeur année 2005);  Le prix du litre était de 1,91 F. en 2000, c’est à dire 0,32 euro (valeur année 2005).  Malgré plus du triplement du prix du lait entre 1970 et l’an 2000, la baisse des prix  a été de –39% en valeur réelle. Sans vouloir pousser l’analyse des courbes, on est tenté de dire que depuis l’instauration des quotas laitiers en 1984 et la baisse de production voulue par la politique agricole commune, les prix du lait ont progressé très peu. Par contre, depuis 1984 le pouvoir d’achat s’est moins érodé que dans la période 1974-1984 pendant laquelle on avait constaté une baisse des prix de –22% en valeur réelle[11].

Figure4figure 5

 

La mise aux normes sanitaires de la laiterie d’Albepierre.

          Depuis toujours la laiterie du bourg a été confrontée à la mise en conformité des locaux avec les règlements sanitaires, notamment en 1974 et 1984. En 1992 avec les directives européennes, les conditions d’hygiène relatives aux établissements de collecte et de transformation du lait étaient devenues si contraignantes que, sans mise aux normes avant décembre 1997, l’agrément pouvait être retiré.

           Au début de l’année 1994 la coopérative   sentait bien qu’elle ne pourrait pas continuer son activité sans procéder à de gros travaux car le rapport d’inspection des services vétérinaires du 2 décembre 1993 constatait que les conditions élémentaires de structures et d’hygiène n’étaient pas suffisamment respectées. Le dernier paragraphe de la conclusion précisait même en caractères soulignés : « Lorsque les travaux seront réalisés et que les mesures nécessaires pour une bonne hygiène des fabrications auront été prises, la demande d’agrément communautaire pourra être engagée ». On ne pouvait pas être plus clair !

          Dans un premier temps les coopérateurs ne s’affolèrent pas. Quelques mois auparavant ils avaient engagé une dépense de 150.000 F. pour améliorer la qualité du fromage  et espérer un meilleur prix de vente. Ils savaient intuitivement qu’il leur serait difficile, voire impossible de financer les travaux de mise aux normes. Tous les membres de la coopérative et leur président qui avait une longue expérience  appliquèrent  la célèbre formule « wait and see ». 

           La situation resta inchangée jusqu’à  la fin de l’année 1994 et l’élection d’un nouveau Président. C’était le plus gros producteur de lait (30% environ de la coopérative) et son inquiétude était grande car la situation financière de la coopérative était préoccupante. Il fallait absolument emprunter, non pas pour faire des travaux de mise aux normes, mais pour payer des retards de payement et les travaux effectués à fin 1993. Les sept coopérateurs acceptèrent de se porter personnellement caution[12], et obtinrent en mai 1995 un prêt du Crédit Agricole d’un montant de 150.000 F. remboursable sur cinq ans au taux de 7,95%.  La coopérative était sauvée, mais pour combien de temps ? La question qui se posait alors était celle-ci : A-t-on les moyens de financer la mise aux normes de l’atelier  tout en payant le lait un prix acceptable ?

            A cette question brutale personne n’osait répondre par la négative au risque de passer pour le liquidateur d’une entreprise qui avait tant apporté au village, n’avait jamais fait faillite  et avait maintenu en permanence un emploi. L’attitude était la même à la fin de l’année 1995 lorsque l’étude demandée à la Fédération Régionale des Coopératives Agricoles concluait : « Les documents et analyses nous amènent à conclure que l’investissement n’est pas réalisable, même avec une subvention de 20%, et un tel engagement mettrait en péril la vie même de la coopérative [13] ». Pendant les deux années 1996 et 1997 la question resta sans réponse…jusqu’au départ en décembre 1997 du Président et de deux autres coopérateurs qui, ne voyant pas d’issue, étaient pour la fermeture pure et simple de l’atelier.

 

Une page qui se tourne

A partir de décembre 1997, les événements s’enchaînèrent avec rapidité. Tandis que les trois coopérateurs démissionnaires avaient choisi de livrer leur lait à la coopérative de Valuéjols, les quatre adhérents restants décidèrent d’aller à l’union des coopératives laitières de Celles (UCALA) qui regroupait les productions de La Véronne, Chalinargues, Meymargues, La Gazelle, Dienne, Laveissenet, Farges et  Lavigerie.

           Après diverses interventions et négociations, l’UCALA faisait entreprendre des travaux en 1998-1999 dans la laiterie d’Albepierre et aménager un magasin de vente de fromage. Dans la laiterie d’Albepierre ainsi  maintenue, on  ferait du cantal pasteurisé et l’union des coopératives de Celles prendrait tout en charge : les amortissements des nouvelles installations, l’emprunt en cours,  la gestion de l’atelier et l’activité de vente. Y avait-il dans cette affaire une vraie logique économique ? On peut en douter. En tous cas un nouvel avenir devait se profiler pour la coopérative  d’Albepierre.

            L’espoir, entretenu par la volonté politique ne pouvait pas résister bien longtemps à la réalité économique. Il dura seulement deux ans en ce qui concerne la laiterie proprement dite. Le 22 décembre 2005 l’assemblée générale de la coopérative d’Albepierre-Bredons, mise au pied du mur, certainement contrainte, décidait à l’unanimité la vente des locaux de la laiterie et une explication plutôt curieuse fut rédigée ainsi : « en vue d’un regroupement de coopératives qui s’avère inéluctable il devient impératif de donner un avenir à ce bâtiment ».

            La fin de la laiterie d’Albepierre, comme celle de l’école, était malheureusement prévisible.

 ÓJLP  2006


[1] Sujet d’Histoire, la laiterie l’est certainement d’autant plus que les matériaux sont importants. Toute la gestion humaine, matière et financière depuis l’origine de la coopérative a été récemment retrouvée et sera déposée aux archives départementales du Cantal. Paradoxalement, les données les moins complètes portent sur la période post 1976.

[2] Bulletin de la Fédération Nationale des Coopératives Laitières ;  avril 2001

[3] Le petit Muratais, journal républicain indépendant,  du samedi 4 janvier 1902

[4]Au  document remis à l’étude de Me Margerit est annexé la liste nominative des quarante quatre premiers souscripteurs de parts sociale avec le montant des versements effectués par chacun d’entre eux.

[5] Le pouvoir d’achat de l’euro et du franc ; Direction générale de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques

[6] René Andrieux de Pignou, qui avait intégré la coopérative d’Albepierre en 1953 avec d’autres exploitants de Bredons et d’Auzolles avait fait une demande de démission en 1957. Sa demande de retrait lui fut refusée car celle-ci : « portait préjudice au bon fonctionnement de la coopérative par la privation volontaire d’apports de récoltes ».

[7] Annexe au Procès-verbal des délibérations de l’assemblée générale extraordinaire du 12 décembre 1974 ; art 2 des Statuts de la coopérative déposés le 16 mars 1976 chez Me Guy Drijard, Notaire à Murat.

[8] Archives de la laiterie déposées à la mairie d’Albepierre

[9] Un emprunt de 24000 fr.  (10 000 euros valeur 2005), sur huit ans, au taux de 4%, avait été contracté auprès de trois adhérents (Rigal, Ernest, Herault Arsène et Besson Alexis).

[10] Valeur INSEE.

[11] Livre blanc de l’agriculture cantalienne présenté par les organisations professionnelles agricoles ;  juin 1984

[12] Selon les statuts, chaque coopérateur se portait caution proportionnellement au nombre de  ses parts sociales.

[13] Rapport du FRCAA du 8 décembre 1995